Raison première de notre
séjour au Congo, le Lycée Prince de Liège méritait bien un article rien que
pour lui.
Existant à Kinshasa depuis de très
nombreuses années, l’école avait fermé ses portes suite aux pillages de 1991.
Elle a rouvert dès que possible, peu après, mais les courageux enseignants,
élèves et parents impliqués ont du déployer des tonnes d’énergie pour faire renaitre
l’école de ses ruines. Avec le succès que nous connaissons aujourd’hui :
une population scolaire de près de 900 élèves et 90 enseignants ! Auxquels
on ajoute des employés administratifs, de nombreux travailleurs, un chauffeur,
un préposé à la photocopie, … Toute une entreprise !
Le programme enseigné
dans l’établissement est celui de la communauté française de Belgique. Les diplômes
obtenus au Lycée sont homologués et reconnus en Belgique- et ailleurs.
Les élèves de l’école
sont issus de familles aisées kinoises (le minerval est très élevé), de
familles d’expatriés belges et d’autres. Les enfants de maternelles jouent et
crient en courant dans la cour de récréation, les enfants de primaire jouent au
« loup glacé », à l’élastique et au foot et se bagarrent parfois. Les
élèves de secondaire trainent les pieds pour aller en classe, se balancent sur leurs chaises, écoutent les
derniers tubes et les garçons perdent leur pantalon pour suivre la mode. Quoi
de plus semblable qu’une école belge à Kin et une école belge au pays ?
Et pourtant, les
différences existent. Le rythme scolaire est incomparable : les enfants
arrivent à l’école entre 6h30 et 7h, les cours commencent à 7h15 et se
terminent à 12h45. 6h de cours avec seulement deux interruptions de 10 minutes.
Pour les enfants de primaire et maternelle, c’est vraiment très dur ! Pas
de « grande récré » pour se défouler et se détendre. En rentrant à la
maison, vers 13h30, les enfants sont affamés et épuisés. L’après-midi est souvent
consacré à la sieste et aux devoirs.
Un point du règlement sur lequel l’équipe éducative au grand complet se bat avec ardeur, c’est la ponctualité. Nous vous parlions sur ce blog, il y a quelques années, du « Fiji Time ». Nous connaissons aussi « l’Heure Africaine ». Mais quand il s’agit d’école, cela pose problème : les élèves ont systématiquement du retard. Ces 10 ou 15 minutes de retard quotidiennes deviennent 30 minutes à une heure par temps de pluie ! Il existe donc tout un dispositif soutenu par une échelle de sanction pour tenter –tenter- d’inculquer la ponctualité aux élèves. Mais même si ceux-ci étaient de bonne volonté, il faudrait encore enseigner cette notion aux chauffeurs… Ah oui, c’est une autre différence : les élèves arrivent à l’école et en repartent dans leur voiture avec leur chauffeur. Très peu de parents conduisent leurs enfants eux-mêmes. Les élèves de maternelle sont parfois accompagnés de leur nounou. Les ados ont une fâcheuse tendance à faire enrager leur chauffeur, préférant bavarder avec leurs amis sur le parking plutôt que de rejoindre leur voiture où leur chauffeur les attend depuis parfois longtemps –en plein soleil à midi. Les chauffeurs apportent leur repas aux élèves (pizzas, sandwichs, chawarmas et sucrés) sur le temps de midi. Les chauffeurs vont aussi « vite » à la maison reprendre la tenue de sport ou le classeur que l’élève distrait aura oublié. Dure vie pour ces hommes qui font des allers et retour dans une ville paralysée par les embouteillages à toute heure du jour. Embouteillages et ennuis avec les policiers du « roulage ».
Autre différence :
les prénoms. Adrien nous a impressionnés avec une copine prénommée Choukrani.
J’ai dû m’habituer à mes élèves aussi : Divine, Jenissi, Goretti, Adonaï,
,… Mais finalement, c’est Lucie qui détient la palme : nous nous étonnions
qu’elle ait un ami prénommé Michel-Ange mais, quoi de plus banal quand il y a
dans sa classe une Auréole, un Délice et un… Crinovic ?!?! Quand Dimitri
et moi nous sommes exclamé « C’est vraiment son prénom ? » Lucie
nous a regardé de travers… cela lui semble totalement banal !
Les excuses des élèves
sont aussi un peu différentes. Après les « mon chauffeurs était en retard
ce matin », il y a tout le répertoire visant à expliquer pourquoi les
parents n’ont pas signé le contrôle ou le journal de classe. Entre « mes
parents sont en Chine » ou à Dubaï ou en Belgique pour trois semaines (et hélas
pour ces jeunes c’est souvent vrai), et
les « mon père rentre trop tard le soir, je ne le vois pas et ma
mère est en Belgique, elle aide mon frère à démarrer ses études », on ne
sait plus quel élève croire ni quel élève est vraiment livré à lui-même. Quand
les parents sont à l’étranger pour de longs séjours –ou au travail très très
tard- les enfants et adolescents sont confiés aux chauffeurs et nounous.
Ceux-ci n’ont aucune autorité sur les enfants et ne servent que de
« gardiens », ce qui est insuffisant. Cela à l’air bête, mais ces
petits enfants aisés vivent parfois des drames que personne ne reconnait.
Parlons d’une amie de
Lucie qui n’a que 5 ans. Un papa belge âgé, une maman qui vit en Belgique
(probablement), une belle-mère qui a à peine plus de 20 ans… et cette petite
qui est chaque jour confiée au chauffeur et à la nounou. Lucie l’avait invitée
à la maison pour jouer toute la matinée du samedi. Par sms, la belle-mère
m’annonce qu’elle restera jusqu’au soir. (Bon, je n’ai rien à dire, je
suppose…) Nous passons une bonne journée, tout ce qu’il y a de plus
ordinaire : des enfants qui jouent, se bagarrent parfois, mangent des
cookies maison, font la java au lieu de faire la sieste, réclament mille
cadeaux au supermarché… Lucie et son
amie s’amusaient très bien, s’entendaient à merveille. Quand son chauffeur est
venu la chercher, elle avait des larmes plein les yeux. Mais ce qui m’a fait
mal, en tant que maman, c’est ce que l’institutrice m’a raconté le lundi :
la petite a insisté pour pouvoir raconter son we en premier. Elle a passé 20
minutes à raconter chaque détail de son samedi chez nous, des étoiles plein les
yeux, « surement mieux que si elle avait été à Disneyland » m’a dit
l’institutrice. Pas étonnant, quand je suis venue chercher Lucie ce midi-là,
que tous les enfants de la classe me sautent dessus en réclamant de venir chez
nous toute une journée, eux aussi… Tous ces enfants en mal de famille
« traditionnelle », en mal de parents présents et aimant surtout.
Nous avons réalisé notre chance et notre richesse et avons pu illustrer nos
propos à Adrien et Lucie : oui, vos amis ont une tv dans leur chambre, la
dernière console de jeu à la mode, mangent des chips à la récré et vont en
Belgique pour Noël. Mais vous, vous avez des parents qui s’occupent de
vous !
Dans cet ordre d’idée, il
y a souvent des enfants qui restent à l’école, tard, parce que ça n’arrangeait
personne de venir les chercher plus tôt. Ceux-là sont souvent inscrits à toutes
les activités parascolaires, mais une fois ces activités terminées, ils doivent
attendre, seuls…
Encore une
différence : les enseignants sont tous voisins. Voisins des élèves aussi.
Finalement, on vit en communauté… Avec ce que ça a de bon et aussi de pesant.
1 commentaire:
Chouette image de la vie scolaire et importance de la famille. Merci!
Enregistrer un commentaire