Je n’arrive plus à me souvenir de comment l’idée est venue…
Nous avons entendu parler, par un collègue, d’une ligne de train toujours en
activité et qui permettait de relier la Zambie à Dar Es Salam en Tanzanie. Un
train en Afrique, en 2020, ça nous a paru extraordinaire ! Depuis
Lubumbashi, les vols sont très chers (la ville n’est pas une destination
touristique) et les routes angoissantes. Guillaume souffre encore du mal des
transports, l’état de la voirie est par
endroits lamentable, les contrôles
routiers sont souvent synonymes d’heures perdues en palabre avec des policiers
corrompus, les camions surchargés menacent à tout moment de créer des accidents,
et je ne parle même pas des petits bus jaunes qui font n’importe quoi !
Voyager quand on vit en Afrique centrale,
c’est donc soit dangereux, soit onéreux. Et voilà que s’ouvre une nouvelle
possibilité : le train ne coûte presque rien et est plus sûr que la route !
En plus, contrairement aux bus et avions, on peut s’y allonger pour de vrai et
s’y promener.
Très vite, un groupe de professeur s’intéresse au projet « train ».
Nous organisons des soirées de discussions, afin de mettre en commun les renseignements que chacun a cherché de son côté. Finalement, un groupe de 13 personnes se compose : notre
famille de 6 et 7 autres adultes. Super ! En plus de nous renseigner sur
ce fameux voyage en train, nous devons obtenir toutes les informations pour les
traversées de frontières : Congo-Zambie puis Zambie-Tanzanie : les
visas, les formalités et surtout ces fichus test Covid. Qui exige quoi, comment
et à quel prix. Finalement, vouloir voyager en train, c’est une excellente
motivation mais c’est nécessaire de choisir une destination. Depuis Dar Es
Salam, pas d’hésitations : nous irons à Zanzibar ! Voilà des années
que nous n’avons plus voyagé, ou si peu, et la perspective d’une semaine au
bord de la mer turquoise, sous 30° à l’ombre, nous enchante. Dans le groupe, tous veulent faire la
traversée en train mais ensuite, chacun ira de son côté. Dimitri et moi sommes
rassurés de partir avec de nombreux autres adultes : les traversées de
frontières terrestres ne sont as toujours faciles et nous sommes contents d’être
plusieurs à veiller sur les enfants tout en veillant sur les bagages et
remplissant les formalités administratives.
Le timing est difficile à définir : il y a deux trains
par semaine au départ de Kapiri Mpochi, en Zambie : le mardi et le
vendredi. Nous terminons les cours et examens le jeudi 17, nous décidons donc
de partir à 13h(Lucie et Timothée manquent un demi jour d’école) pour la Zambie. Finalement,
un couple ne peut se joindre au voyage pour une question de passeport pas
arrivé à temps. Quelle déception !
Jeudi 17 à 13h, les taxis sont là ! Nous sommes 11,
répartis en 3 taxis et l’aventure commence ! 2 petites heures de route et
nous arrivons à Kasumbalesa, le poste frontière. A peine arrêtés, des hordes de
« porteurs » se ruent sur le coffre et s’emparent de nos valises !
Panique et surtout bras de fer pour récupérer nos affaires. Nous n’avons besoin
de personne : nous nous sommes organisés pour n’avoir que 3 sacs à dos et
une valise à roulette pour nous 6. Nous savons tout porter ! Finalement,
deux des porteurs nous poursuivent, dont l’un empeste l’alcool… rester calme
devient vite difficile. Un responsable de la DGM s’empare de nos passeports et
nous emmène dans une première petite pièce. Passeports, carnets de vaccination
et tests Covid sont passés au crible pour les 11 membres du groupe, cela prend
un temps fou. Les agents parlent Lingala pour que nous ne les comprenions pas… Ce qu'ils ne savent pas, c'est que nous avons avec nous une bilingue qui nous
traduira ensuite tous les échanges ! Il était question de trouver un « soucis »
au moins pour nous extorquer de l’argent… Pas de chance pour eux : nous
sommes tous en ordre à tous les niveaux et ils doivent bien nous relâcher sans
nous arnaquer ! Nous faisons ensuite une première file pour remplir des
documents et nous faire prendre nos températures. Puis une autre file pour le
cachet sur le passeport, et encore deux autres postes de vérification… Au total,
pour sortir du Congo, nous aurons montré 5 fois tous nos papiers ! A 11,
ça prend beaucoup de temps. En traversant une grande grille, nous quittons la
boue, les montagnes de déchets et l’agitation pour arriver dans un endroit
propre, avec des bâtiments modernes, des parterres de fleurs… Et passons à
nouveau par deux bureaux (pour montrer tous nos documents, répondre à des
questions, remplir des papiers,… tous les 11) afin d’entrer officiellement en
Zambie. Au total : deux heures pour traverser la frontière à pieds !
Du côté zambien, nous trouvons vite trois taxis prêts à nous emmener vers
Ndola, la ville où nous avons prévu notre première étape.
Les paysages sont très différents : des forêts, des
jardins soignés, des routes propres et en bon état (sauf entre la frontière et
Chililabombwe), des autoroutes 2x2 bandes, des centres commerciaux, des
policiers courtois qui vérifient les papiers puis souhaitent une bonne journée…
quelle différence ! La Zambie nous séduit immédiatement. Les enfants sont
patients et courageux. Encore trois heures de route et nous arrivons finalement
vers 20h à notre hôtel. Répartition dans les chambres et rendez-vous au
restaurant. Pas de menu, nous commandons ce qu’il y a : du poulet et des
frites. Nos enfants ont très faim, surtout Guillaume qui attend, bien assis,
sans bouger… pendant 1h30 ! Il finit par presque s’endormir à table,
impatient, le ventre creux, quand son assiette arrive enfin. Il est plus de 22h,
il a encore eu école ce matin de 7h30 à midi et la journée a été épuisante.
Vendredi 18 , réveil à 6h ! Petit déjeuner à l’anglaise
et en route dans un minibus pour la gare des bus. Le grand bus démarre à 7h30
en direction de Lusaka. Le bus est rempli, nous sommes tous éparpillés. Nous
avons le plaisir de visionner un film chinois sous-titré en turc ! Ça fait
bien passer le temps. Nous descendons, sous la pluie, près de 2h plus tard à
Kapiri Mposhi et y trouvons des taxis pour nous emmener à la gare de trains. Je
veille sur les enfants qui ont besoin de se dégourdir les jambes pendant que
les autres prennent les renseignements, les billets, constituent les trois
cabines et font la connaissance d’un parisien qui voyage depuis 3 ans !
Nous avons 4h devant nous avant le départ du train : on nous installe dans
un petit salon VIP réservé aux voyageurs de première classe. Quel voyage dans
le temps ! Nous en profitons pour aller par petits groupes en ville faire
quelques achats : eau, biscuits, pies à la viande…
A 14h, nous embarquons, surexcités ! Le grand but de ce
voyage est atteint : nous prenons le train ! La cabine est propre,
petite mais bien aménagée. Les enfants ont un sourire jusqu’aux oreilles, nous
aussi. L’après-midi se passe en observation du paysage, jeux, lecture,
bavardages, visite du train… Nous nous rendons au wagon-restaurant le soir pour
manger un poulet avec des frites ! La nuit n’est pas très bonne : le
train fait beaucoup de bruit, nous secoue énormément et s’arrête très régulièrement.
A chaque fois, nous nous rendormons puis sommes violemment secoués par le remise
en route. Je passe une bonne partie de la nuit à regarder par la fenêtre :
la vision du train qui éclaire doucement les alentours immédiat est féérique !
Timothée et Guillaume ronflent jusqu’au petit matin. Pas de douche, des
toilettes peu agréables… mais un copieux petit déjeuner et nous sommes prêts
pour cette nouvelle journée d’aventure !
Nous pensions arriver pour 10h
pour la ville-frontière Nakonde et y arrivons finalement vers 13h30. Après avoir
passé la matinée dans une douce torpeur, branle-bas de combat : nous
ressortons tous les 11 avec tous nos bagages et entreprenons de marcher depuis
la gare jusqu’au poste frontière. C’est un peu moins d’un km mais nous aurions
pris des centaines de photos si nous n’étions pas pressés : nous avons
prévu de prendre la « correspondance » pour Dar Es Salam qui démarre
à 17h de Mbeya. Beaucoup d’animation, nous portons nos bagages et marchons d’un
bon pas. Les gens nous regardent, incrédules : nous formons un drôle de
cortège !
Le poste frontière est incroyablement moderne. Nous y sommes
très gentiment accueillis et y passons un temps qui nous paraît interminable :
un premier bureau puis nous sommes convoqués un à un dans une pièce « médicale » :
angoisse, que nous veulent-ils ? Questionnaires, prise de température… on
nous certifie qu’il n’y a pas de Covid en Tanzanie. Nous portons nos masques
par habitude mais ici c’est très mal vu ! Une file pour les cachets de
sortie de Zambie, une autre pour les cachets d’entrée, des formulaires à
remplir, encore, un visa à payer, encore… Et finalement, nous sortons du poste
frontière passé 15h, déçu car nous pensons manquer le train. Un voyageur qui
était avec nous dans le premier train nous dit que le second part à 19h de
Mbeya, que nous pouvons l’avoir ! Nous nous précipitons dans le petit bus
qu’il nous indique et fonçons vers la prochaine gare. Il semble que ce
voyageur, le bus, et tous les vendeurs qui s’y sont embarqués sont des arnaqueurs…
Nous sommes contrariés mais pas trop : les paysages sont déjà
incroyablement différents, il fait chaud, le pays nous semble beau et
accueillant ! Finalement, nous arrivons à la gare de Mbeya vers 18h20 et
nous précipitons au guichet : c’est la cohue ! Heureusement, un des
amis du groupe avait eu un contact avec les responsables du train et déjà
réservé nos places ! Nous apprenons que le train n’est attendu que vers
22h ou 23h… Heureusement, nous pouvons attendre dans un salon VIP. Salon vite
bondé et infesté de cancrelats, les toilettes attenantes sont innommables… Nous
ne quittons pas la gare : nous déplacer de nuit dans une ville inconnue n’est
pas une bonne idée et nous n’avons aucune certitude quant à l’heure d’embarquement.
Du coup… nous passerons plus de 5h dans ce salon, avec pour seul repas de la
journée un épi de maïs grillé… Nos enfants sont vraiment courageux !
Embarquement vers 1h30 du matin, nous sommes déçus : le
train est sale, sent mauvais et plus vétuste que le premier. Nous sommes, pour
la plupart, pris de fous-rires. Plus de 60h de voyage déjà, peu de repas, notre
dernière douche remonte à près de 48h,… D’une cabine à l’autre, nous entendons
nos amis partir dans de grands éclats de rire ! Lucie craque… Guillaume,
lui, s’était endormi dans mes bras dans le salon, je l’ai juste déposé sur la
couchette qu’il partage avec Timothée pour qu’il poursuive sa nuit. Les enfants
et Dimitri s’endorment vite, le ventre creux. Pour ma part, je veille… à chaque
soubresaut du train, je repousse Guillaume et Timothée sur leur couchette pour
éviter qu’ils ne tombent.
Nous sommes déjà dimanche 20 décembre. A 7h du matin, on
frappe violemment à notre porte : furieuse, je me lève avec de grands « chhhhht,
kids are sleeping ! ». Mais le monsieur en face duquel je me trouve
est désarmant de gentillesse et propose de nous apporter le petit déjeuner en
cabine. J’accepte avec plaisir ! Les enfants se réveillent de bonne humeur
et sont ravis de ce petit déjeuner anglais copieux ! Ils découvrent le
Chaï, que, pour ma part, je retrouve avec un plaisir immense ! Un thé
fort, sucré avec du lait : rien de tel pour vous remettre d’aplomb dans
les voyages de routards !
Toute la journée se passe dans le train, en jeux avec Guillaume,
lecture pour Adrien, Lucie et Timothée. Et observation des paysages pour tous !
Nous avons l’impression à chaque arrêt, de participer un peu à la vie locale. Nous
mangeons au restaurant du train le midi. Au menu : un poulet-frites !
Pour le goûter, nous achetons des glaces ! Cela fait des mois que nous n’en
avons pas mangé, c’est la fête ! La journée est longue, entrecoupée de
petites siestes. Je commence à craquer : enfermée avec les babillages incessants
de Timothée et Guillaume, les disputes qui commencent avec la fatigue, le ras-le
bol qui s’installe… Les autres sortent du train pendant les arrêts. Ils
achètent des mangues, de la canne à sucre, des cacahuètes… niveau
ravitaillement, pas de soucis ! Nous commençons tous à rêver de douche et
de vêtements propres. Souper au restaurant, au menu : poulet-frites !
Encore une nuit sans sommeil, ballotés par le train, perturbés par les arrêts
et redémarrages.
Nous sommes réveillés tôt et avons le temps de boucler les sacs avant l’arrivée.
Nous avons dormi habillés, en prévision de l’arrivée prévue quelque part entre
5h et 9h du matin. Finalement, nous arrivons vers 8h à Dar Es Salam !
Heureux ! Nous avons la sensation d’avoir réalisé un exploit :
voyager en Routard en Afrique Centrale. Nous avons survécu à 4 jours de transports variés,
sans malade, 4 jours presque sans sommeil, avec une seule douche
prise à Ndola 3 jours plus tôt, quelques repas manqués…
Sortie de la gare dans la cohue, notre petit cortège est à
nouveau bien remarqué ! Deux membres du groupe nous quittent pour se
diriger, en bus, vers Arusha. Les 9 autres partent en taxi vers le port. Nous apercevons
la mer ! C’est la fête ! Nous trouvons des tickets de bateau en
classe économique. Autant pour le train nous voulions des premières classe pour
avoir une bonne couchette, autant pour faire 1h30 de trajet en bateau, cela
nous est bien égal d’être confortables ! Nous y trouvons aussi du chaï,
des noix de cajous, des chips de manioc,… et improvisons un petit-déjeuner
léger et bizarre. Encore une petite attente et nous pouvons embarquer !
Guillaume rêvait d’un bateau rouge, Timothée d’un bateau bleu et moi je pensais
qu’il serait blanc. Tous contents : le bateau arbore les trois couleurs !
Nous
trouvons des sièges près des
grandes fenêtres. Cela secoue différemment
du train, gare au haut-le-cœur… Nous allons
sur le pont admirer le paysage : l’océan indien couvert de petits et gros
bateaux au large de la ville, puis simplement
l’immensité et finalement l’île de Zanzibar qui se dessine au loin.
1h30 de traversée plus tard, nous arrivons dans la chaleur
de Zanzibar ! Étonnant : nous devons encore remplir des documents
administratifs et montrer nos passeports. Le groupe se sépare, au terme de 4
jours d’aventure commune. Le sourire aux lèvres, nous nous souhaitons de bonnes
vacances et surtout : une bonne douche !
En ce qui nous concerne, notre hôtel nous a envoyé une
navette. Grand taxi confortable pour 6, nous nous détendons, Adrien et Guillaume
s’endorment, nous apprécions le paysage et retrouvons quelques souvenirs, 10
ans après notre premier séjour. Encore 2h de route et nous arrivons, au propre
comme au figuré, en Terre Promise : le Promised Land Lodge ! Au bout
d’un tout petit village de pêcheurs, sans autres hotels en activité dans la
région… nous nous sentons au bout du monde. Il est 14h heure locale, ce lundi : cela fait
exactement 96h que nous avons quitté notre maison de Lubumbashi ! Nous
sommes accueillis par un jus de fruit frais, une hutte spacieuse de deux
chambres avec terrasse, et une piscine à la température idéale. Les vacances
commencent !
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